En contentieux de la légalité, un défendeur peut virer casaque dans sa défense… Mais pas demander que l’on jette aux orties ses écritures antérieures

En recours pour excès de pouvoir, il n’est pas interdit de se contredire. Cela peut être idiot, cela peut résulter aussi d’un changement de stratégie consécutif par exemple (comme en l’espèce) à un changement de majorité. MAIS (sauf désistement du côté du requérant) on ne peut revenir sur ce qu’on a écrit antérieurement dans un tel contentieux en demandant au juge d’effacer, d’oublier, ce qui a été écrit antérieurement.
Il n’existe pas, dans le contentieux de la légalité, de principe général (dit d’ estoppel ) en vertu duquel une partie ne saurait se contredire dans la procédure contentieuse au détriment d’une autre partie. Une fin de non-recevoir opposée sur le fondement d’un tel principe ne peut dès lors qu’être écartée. Bref, en REP, estoppel connais pas.
Source : CE, 2 juillet 2014, n°368590, au rec. ; voir aussi en fiscal dans le même sens : CE, 1er avril 2010, SAS Marsadis, n° 334465, rec. p. 93.
Comme l’a écrit M. par Serge Braudo, Conseiller honoraire à la Cour d’appel de Versailles :
« Selon le principe d’estoppel une partie ne peut se prévaloir d’une position contraire à celle qu’elle a prise antérieurement lorsque ce changement se produit au détriment d’un tiers »
Source : https://www.dictionnaire-juridique.com/definition/principe-d-estoppel.php
Dans une affaire portant sur un contrat, le tribunal administratif de Grenoble a été saisi de conclusions d’une partie défenderesse tendant à ce qu’il soit donné acte de son acquiescement aux conclusions et aux faits tels que présentés par le requérant et, par voie de conséquence, à ce que son précédent mémoire en défense par lequel elle avait initialement conclut au rejet de la requête et les pièces produites soient écartés de la procédure.
Comme l’a écrit notre confrère Lucien Breteau, s’applique alors une sorte de « principe de l’estoppel inversé [qui] se traduit avant tout comme un principe d’interdiction de la renonciation de l’administration » à ses précédentes écritures en défense.
Et pour cause, le réquérant était un opposant au maire de la commune, Bourg-Saint-Maurice… devenu au fil du contentieux… maire de la commune.
Cet élu a cru habile de désormais acquiescer aux moyens de la requête. Logique.
L’édile avait-il droit de changer la défense de la commune ? OUI… On supposera juste qu’il avait au préalable pensé à faire désigner un autre élu que lui pour défendre au nom de la commune contre le recours qu’il avait fait contre la commune, comme l’impose le CGCT. Mais c’est une autre histoire.
MAIS… mais le juge a estimé que non cet élu nouveau maire ne pouvait pas au passage demander au juge de faire comme si les écritures municipales précédentes s’étaient effacées par un coup de baguette magique et que seul son nouvel acquiescement devait être pris en considération.
D’autant qu’on rappellera que le juge fait son propre travail qui ne se limite pas que aux moyens d’ordre public, pour schématiser une question complexe.
D’où le fait que les mémoires antérieurs en défense de la commune pouvaient bien être pris en compte :
« 5. Dans ses dernières écritures, la commune de Bourg-Saint-Maurice demande de donner acte de son acquiescement aux conclusions et aux faits tels que présentés par M.A. et, par conséquent, d’écarter des débats le mémoire en défense ainsi que les pièces qu’elle a produits et qui ont été enregistrés le 12 mars 2020, à l’exception de la délibération du conseil municipal habilitant le maire à ester en justice.
« 6. S’il n’existe pas, dans le contentieux de la légalité, de principe général en vertu duquel une partie ne saurait se contredire dans la procédure contentieuse au détriment d’une autre partie, à l’inverse, aucun principe général n’impose au juge administratif, à qui il appartient de se prononcer sur les moyens de droit que soulève l’examen d’une affaire, d’écarter des débats les mémoires et les pièces produits par cette partie et valablement soumis au contradictoire avant qu’elle ne se contredise.
«7. Dès lors, le premier mémoire de la commune et les pièces qui l’accompagnaient, enregistrés le 12 mars 2020, peuvent être pris en compte par le tribunal pour apprécier la légalité des délibérations attaquées. Par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner la fin de non-recevoir opposée par la Société d’Aménagement de la Savoie tirée de ce que le maire ne disposait pas d’une habilitation régulière pour produire ce mémoire, les conclusions principales de la commune de Bourg-Saint-Maurice, présentées dans son mémoire enregistré le 5 mars 2021, ne peuvent qu’être rejetées »
Et là où cela devient amusant, c’est que le requérant, maire de la commune, a perdu son contentieux et a été condamné à verser des frais irrépétibles à la commune dont il est l’édile.
Source :
TA Grenoble, 23 février 2024, 2000370-2000372, C+
Sur Alyoda, voir ci-dessous : un résumé, les conclusions du rapporteur public M. Mathieu Heintz et un article (dont je recommande vivement la lecture) de notre confrère Me Lucien Breteau. Il faut cliquer sur le lien ci-dessous puis passer d’un item à l’autre en cliquant sur les onglets :
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